Objectifs : 1/ j’analyse la mise en place d’un cadre propice à l’irruption du surnaturel 2/ j’invente la suite de l’histoire

La main de Guy de Maupassant, paru dans Gil Blas, le 18 mars 1885

C’était un grand homme à cheveux rouges, à barbe rouge, très haut, très large, une sorte d’hercule placide et poli. Il n’avait rien de la raideur dite britannique et il me remercia vivement de ma délicatesse en un français accentué d’outre-Manche. Au bout d’un mois, nous avions causé ensemble cinq ou six fois.
Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je l’aperçus qui fumait sa pipe, à cheval sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai, et il m’invita à entrer pour boire un verre de bière. Je ne me le fis pas répéter.
Il me reçut avec toute la méticuleuse courtoisie anglaise, parla avec éloge de la France, de la Corse, déclara qu’il aimait beaucoup cette pays, et cette rivage.
Alors je lui posai, avec de grandes précautions et sous la forme d’un intérêt très vif, quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il répondit sans embarras, me raconta qu’il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes, en Amérique. Il ajouta en riant :
— J’avé eu bôcoup d’aventures, oh ! yes.
Puis je me remis à parler chasse, et il me donna des détails les plus curieux sur la chasse à l’hippopotame, au tigre, à l’éléphant et même la chasse au gorille.
Je dis :
— Tous ces animaux sont redoutables.
Il sourit :
— Oh ! nô, le plus mauvais c’été l’homme.
Il se mit à rire tout à fait, d’un bon rire de gros Anglais content :
— J’avé beaucoup chassé l’homme aussi.
Puis il parla d’armes, et il m’offrit d’entrer chez lui pour me montrer des fusils de divers systèmes.
Son salon était tendu de noir, de soie noire brodée d’or. De grandes fleurs jaunes couraient sur l’étoffe sombre, brillaient comme du feu.
Il annonça :
— C’été une drap japonaise.
Mais, au milieu du plus large panneau, une chose étrange me tira l’œil. Sur un carré de velours rouge, un objet noir se détachait. Je m’approchai : c’était une main, une main d’homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme d’un coup de hache, vers le milieu de l’avant-bras.
Autour du poignet, une énorme chaîne de fer, rivée, soudée à ce membre malpropre, l’attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse.
Je demandai :
— Qu’est-ce que cela ?
L’Anglais répondit tranquillement :
— C’été ma meilleur ennemi. Il vené d’Amérique. Il avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit jours. Aoh, très bonne pour moi, cette.
Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir à un colosse. Les doigts, démesurément longs, étaient attachés par des tendons énormes que retenaient des lanières de peau par places. Cette main était affreuse à voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à quelque vengeance de sauvage.
Je dis :
— Cet homme devait être très fort.
L’Anglais prononça avec douceur :
— Aoh yes ; mais je été plus fort que lui. J’avé mis cette chaîne pour le tenir.
Je crus qu’il plaisantait. Je dis :
— Cette chaîne maintenant est bien inutile, la main ne se sauvera pas.
Sir John Rowell reprit gravement :
— Elle voulé toujours s’en aller. Cette chaîne été nécessaire.
D’un coup d’œil rapide, j’interrogeai son visage, me demandant :
— Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant ?
Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et bienveillante. Je parlai d’autre chose et j’admirai les fusils.
Je remarquai cependant que trois revolvers chargés étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût vécu dans la crainte constante d’une attaque.
Je revins plusieurs fois chez lui. Puis je n’y allai plus. On s’était accoutumé à sa présence ; il était devenu indifférent à tous.

Quelques pistes de lecture …

1 – Quel genre d’homme est Sir John Rowell ?
2 – À quel genre d’activité Sir John Rowell consacre t-il son temps ? Est-ce sa passion ?

Henri Rousseau – La chasse au lion – Vers 1900
3 – Pensez-vous que le juge Bermutier prenne Sir John Rowell au sérieux lorsque ce dernier affirme avoir « beaucoup chassé l’homme » ?
4 – Quel est l’étrange trophée de chasse que le juge Bermutier découvre dans le salon de Sir John Rowell ?

5 – Sir John Rowell raconte son aventure de façon naturelle et tranquille. En quoi cela est-ce surprenant ?

Travail d’écriture

Consignes

Le juge Bermutier devient ami avec Sir John Rowell. Après une partie de chasse qui s’est terminée tardivement, ce dernier lui propose de passer la nuit dans sa demeure. Le juge occupe alors une chambre qui est située juste à côté du salon où se trouve la main coupée. Alors qu’il se lève pendant la nuit pour observer ce curieux trophée de chasse, il assiste à un phénomène surnaturel : la main semble toujours vivante ! Effrayé, il retourne se coucher en essayant de se convaincre qu’il a tout simplement été victime d’une hallucination. Le lendemain, il retrouve Sir John Rowell étranglé dans sa chambre. La main, quant à elle, a disparu.

Il écrit une lettre à l’un de ses amis pour raconter cet épisode.

La lettre doit comprendre les étapes suivantes :

  1. Le juge Bermutier évoque son amitié avec ce curieux personnage qu’est Sir John Rowell
  2. Il décrit brièvement Sir John Rowell et précise que ce dernier lui a avoué avoir pratiqué la chasse à l’homme. Il dit qu’il ne sait pas s’il s’agissait ou non d’une plaisanterie.
  3. Il décrit longuement la main, trophée de chasse de Sir John Rowell
  4. Il évoque brièvement sa partie de chasse avec Sir John Rowell
  5. Il évoque la nuit passée chez Sir John Rowell lors de laquelle il a assisté à un phénomène surnaturel (la main qui semblait être redevenue vivante). Il précise qu’à ce moment là, il a essayé de se convaincre du fait qu’il avait été victime d’une hallucination.
  6. Il évoque enfin la matinée du lendemain, pendant laquelle il a retrouvé Sir John Rowell étranglé dans sa chambre. Il précise que la main a disparu et dit quelles sont ses conclusions sur cette affaire. Pense t-il avoir eu affaire à un événement surnaturel, ou va t-il trouver une explication rationnelle à tout cela ?

Exemples de description de la main

Sir John Rowell était décidément un homme fort mystérieux. Quel drôle d’idée était-ce d’accrocher dans son salon un trophée de chasse aussi révulsant, aussi repoussant ! Cette main décharnée, desséchée et morte était tout bonnement ignoble, avec ses lanières de peau jaunâtre nervurée de bleu, ses doigts crispés, ses ongles crasseux et jaunis par le temps, et ses muscles apparents. Comme cette main momifiée, semblable à ces mains jaunes de pharaon que les archéologues de l’ancienne Égypte découvrent lors de leurs fouilles, était absolument énorme – je pourrais presque dire gigantesque – je devinais qu’elle devait avoir appartenu à un homme fort, peut-être une espèce de colosse ou de gladiateur. Ce n’était certes pas une douce main de femme, à l’élégance délicate, aux doigts fins et aux ongles soignés, et encore moins une de ces mains d’enfant, blanche comme un lis, petite et potelée. Non, c’était plutôt la main d’un homme qui devait peser dans les cent kilos. Une main qui devait avoir roulé des cigares, trafiqué des diamants, étranglé des pauvres gens ! C’était, pour résumer, la main fatale et forte du meilleur et sans doute du plus redoutable ennemi de Sir John Rowell. Lorsque je m’approchai pour le regarder de plus près, je m’aperçus que cet étrange trophée de chasse dégageait une odeur nauséabonde et fétide de chair pourrie, et qu’il était encore ensanglanté par endroits. Je me retins pour ne pas crier. Étant un homme fin et délicat, je ne goûtai guère tout ce sang séché, toutes ces chairs parcheminées et pourries, et par surcroît je condamnai en mon for intérieur la manière étrange et morbide dont Sir John Rowell avait attaché cet horrible reste de main humaine à la muraille de son salon, comme s’il se fût agi d’une “étude de mains” d’un maître florentin. D’une main tremblante, hésitante et mal assurée, je touchai ce vieux débris humain : il était froid comme la mort, et il se chargea de poussière au contact de mes doigts. “Comme les choses humaines sont vaines et périssables !”, me dis-je en frissonnant de tout le corps.

Cette main était incroyablement moche, hideuse, et laide. Comment un homme pouvait-il accrocher cela sur son mur avec fierté ? Comme un trophée, alors que c’était plutôt une pourriture.

Elle avait une peau sèche qui était particulièrement vilaine ; qui suscitait une violente répulsion à son odeur. C’était un objet abject, infâme, monstrueux, répugnant. Une main d’homme sûrement.

On pouvait apercevoir les veines bien visibles avec quelques gouttes de sang sec. Une main coupée si nette, les os tranchés avec une pression effrayante. La chair était comme brûlée par le soleil.

Des ongles sales et fissurés avec des restes de saleté que dis-je de la terre peut être comme si elle s’était agrippée au sol. Comme si elle avait travaillé des années de manière horrible.

Une main crispée comme si elle se protégeait tout le temps. En perpétuelle décomposition, elle dégageait une odeur nauséabonde et repoussante.

On pouvait même apercevoir des vers blancs sortir de cette main mal entretenue.

Qu’elle était vilaine !

Un dessin de rayyân

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