Objectif : je découvre une enquête journalistique sur le bagne de Cayenne
En 1923, le journaliste Albert Londres se rend au bagne de Cayenne. Situé en Guyane française, cet établissement pénitentiaire de travaux forcés accueille des criminels endurcis. Mais les conditions de vie y sont atroces. Albert Londres en tire un reportage indigné qui suscitera de vives réaction dans l’opinion. Le bagne sera officiellement aboli en 1938.
Une petite question Préalable …
Connaissez-vous un personnage de roman qui soit déjà allé dans un bagne ?
Jean Valjean, dans Les Misérables de Victor Hugo, est allée au bagne pendant 19 ans car il avait volé un pain pour nourrir ses sept neveux.
Comment survit t-on au bagne de cayenne ?
Les conditions de vie des hommes parqués dans le bagne de Cayenne sont effroyables. “Quelle que soit la nature des crimes qu’ils ont commis, ces hommes ne méritent pas le traitement indigne que la République leur inflige », écrit Albert Londres. « Rien ne justifie qu’on dépossède à ce point un homme de son humanité”
Pas étonnant qu’ils soient prêts à tout pour s’échapper du bagne.
Certains essayent d’attraper la lèpre ou la tuberculose dans l’espoir de passer un peu de temps à l’infirmerie. D’autres tentent de rejoindre le fleuve pour suivre le courant jusqu’au Vénézuéla.
Mais en réalité, il est impossible de s’échapper du bagne de Cayenne, qui est entouré par une forêt vierge particulièrement hostile, peuplée de millions de moustiques, de serpents venimeux, d’abeilles qui piquent au sang et de colonnes de fourmis qui dévorent tout sur leur passage. Sans oublier les chasseurs de primes qui rôdent autour du bagne pour récupérer les fuyards.
Intéressons-nous à un passage particulièrement sinistre du reportage où Albert Londres décrit la peine de cachot et raconte sa rencontre avec l’anarchiste Roussenq …
La peine de cachot
“La peine de cachot est infligée pour fautes commises au bagne. Les forçats passent vingt jours du mois dans un cachot complètement noir et dix jours — autrement ils deviendraient aveugles — dans un cachot demi-clair. Leur régime est le pain sec pendant deux jours et la ration le troisième. Une planche, deux petits pots, aux fers la nuit et le silence. Mais les peines peuvent s’ajouter aux peines. Il en est qui ont deux mille jours de cachot.”

La rencontre d’albert londres avec l’anarchiste roussenq
Anarchiste considéré comme dangereux, Roussenq a été condamné à vingt années de bagne. Comme il refuse de se soumettre aux règles du bagne, il effectue 3 779 jours de cachot, soit près de dix ans !
L’un, Roussenq, le grand Inco (incorrigible), Roussenq, qui m’a serré si frénétiquement la main — mais nous reparlerons de toi, Roussenq, — a 3.779 jours de cachot. Dans ce lieu, on est plus effaré par le châtiment que par le crime.
On déferre la porte. Elle s’ouvre.
Roussenq se dresse sur son bat-flanc et regarde. Il regarde quelqu’un qui n’est pas un surveillant, qui n’est pas un commandant, qui n’est pas un porte-clés. La surprise est plus forte que lui ; il dit :
— Un homme !
On me laisse seul. Je pénètre dans le cachot. Roussenq en est à la période des dix jours de cachot demi-clair.
Il est ébloui comme si j’apportais le soleil.
— Ah ! bien ! fait-il ; ah ! oui !
— Quel âge avez-vous ?
— Vingt-trois ans de vie et quinze ans d’enfer, ce qui fait trente-huit.
Et, tout de suite :
— Je vais vous montrer mon corps.
Il se mit complètement nu. Passant la main sur son ventre, il dit : « La cachexie ! »
Il est si maigre qu’on dirait qu’il grelotte.
Sur ses bras, dans son dos, sur ses jambes, sur la poitrine sont des marques comme des cicatrices de coups de lanière.
— Ce sont des coups de couteau.
— De qui ?
— De moi, pour embêter les surveillants. Ils faisaient une tête quand ils ouvraient le cachot et me trouvaient en sang ! Et puis ça leur donnait de l’ouvrage.
— Vous touchez à la fin de vos tourments.
— C’est fini. Plus que cent cinquante jours. Maintenant, je rentre dans l’ordre.
— Vous êtes resté longtemps tout nu, mais on vous a redonné un pantalon.
— Je déchirais tous mes vêtements. J’étais un chien enragé.
— Pourquoi meniez-vous cette lutte inégale contre l’administration ?
— Par goût. Je m’enfonçais dans le cachot comme dans le sommeil. Cela me plaisait diaboliquement. Quand le commandant Masse n’a plus voulu me punir, j’ai cru que je l’étranglerais. Et puis, je protestais au nom de tous les autres. Mais tous les autres — à part trois ou quatre — savez-vous ce que c’est ? C’est de la vermine qui, plus vous l’engraissez, plus vous dévore. On ne me verra plus chercher des amis dans ce fumier. Je me demande même comment je ferai quand je sortirai du cachot. Je ne puis plus supporter la vie en commun.
— Vous vivrez à part.
— Je ne puis plus me souffrir moi-même. Le bagne est entré en moi. Je ne suis plus un homme, je suis un bagne.
Il dit :
— Je ne puis pas croire que j’aie été un petit enfant. Il doit se passer des choses extraordinaires qui vous échappent. Un bagnard ne peut pas avoir été un petit enfant.
Quelques pistes de lecture …
Quelle est la réaction de Roussenq lorsqu’il voit le journaliste Albert Londres pénétrer dans son cachot ?
Lorsqu’il voit le journaliste Albert Londres pénétrer dans son cachot, Roussenq est extrêmement surpris car d’ordinaire les seuls hommes qu’il fréquente sont les surveillants de prison.
Pourquoi Roussenq est-il ébloui par la lumière ?
Roussenq est ébloui par la lumière car il vient de passer vingt jours dans un cachot complètement noir et a commencé sa peine de vingt jours dans un cachot demi-clair.
Que pouvez-vous dire sur l’état mental de Roussenq ? Pourquoi est-il ainsi ?
Roussenq est dans un état mental particulier : en effet, on apprend vers la fin d texte qu’il se donne des coups de couteau.uniquement dans le but d’embêter les surveillants. Sans doute la vie qu’il mène au bagne l’a t-il rendu un peu fou.