Objectifs : 1) je comprends que la folie a inspiré les écrivains fantastiques de la fin du XIXe siècle 2) je découvre une enquête d’Albert Londres sur la folie et la manière dont elle est traitée au début du 20ème siècle
« NOTRE DEVOIR N’EST PAS DE NOUS DÉBARRASSER DU FOU, MAIS DE DÉBARRASSER LE FOU DE SA FOLIE. SI NOUS COMMENCIONS ? »
Albert Londres

La folie de Maupassant
Guy de Maupassant vient au monde dans une famille marquée par la maladie mentale : son propre frère est mort fou en 1889 ! Lui-même était victime de crises d’angoisses et d’hallucinations : il croyait voir son double.
Au XIXe siècle, les médecins s’intéressent beaucoup aux maladies mentales. Les aliénés (autrement dit les fous) sont accueillis dans des asiles et dans des maisons de santé. Mais très peu en sortent guéris …

Quels sont les traitements ?
Les traitements utilisés à l’époque pour soigner les fous peuvent nous paraître barbares : ils pouvaient être soumis à la douche de feu (on douchait le patient à l’aide d’une pompe à incendie)

Mais les patients les plus dangereux étaient soumis à la camisole de force (vêtement de contention inventé à l’hôpital Bicêtre à la fin du 18ème siècle) et pouvaient même être attachés à leur lit ou à leur chaise.

A la fin du 19e siècle, les électrochocs sont à la mode : c’est un traitement qui consiste à envoyer des décharges électriques au patient afin de diminuer ses crises.
Albert Londres entreprend une enquête sur les asiles psychiatriques en 1925. Il décrit notamment les différents traitements qui sont infligés aux fous. Son travail sur les conditions de vie des malades mentaux fera date. Le journaliste deviendra le porte-voix des 80.000 aliénés enfermés dans des mouroirs sans hygiène.
LES TRAITEMENTS INFLIGÉS AUX FOUS (enquête d’albert Londres)
L’agité crie, se démène, il ennuie le surveillant. L’homme a déjà la camisole, on lui donne quelques bons coups avec le passe-partout, histoire de l’avertir. Le manche à balai sert aussi. Mais la méthode préférée est le brodequin. Monté sur le lit, le surveillant frappe dans les côtes. Le lendemain, le patient en porte les meurtrissures. Ces agités donnent contre tous les murs !
C’est la méthode clandestine.
Officiellement, elle n’existe pas.
Les médecins réduisent par la camisole, le ficelage sur le lit, le cabanon et le drap mouillé.
Le drap mouillé est une conquête de la psychiatrie. La méthode nous vient de l’Égypte des Pharaons. Seulement pour l’employer les Égyptiens attendaient que les clients fussent morts. Et ils coupaient le drap en petits morceaux appelés bandelettes. Nous, nous employons le drap dans toute sa largeur, en serrant bien, à chaque tour, à l’aide du genou… Il arrive ainsi que l’on atteint le résultat : le malade ne crie plus ; il expire.
Les docteurs calment par la balnéothérapie.
La douche n’est plus à la mode.
Sur les vingt mille insensés que j’ai eu l’honneur de fréquenter, cent à peine ont évoqué la séance du jet d’eau. C’était dans des départements où la lumière scientifique n’avait point encore pénétré !
Aujourd’hui, c’est le bain.
Mais la baignoire coûte cher, le personnel est rare, alors apparaissent instruments de contrainte, cellules et cabanons.
Ficelez sur un lit un agité et regardez sa figure : il enrage, il injurie. Les infirmiers y gagnent en tranquillité, le malade en exaspération. Si les asiles sont pour la paix des gardiens et non pour le traitement des fous, tirons le chapeau, le but est atteint.
Camisoles, bracelets, liens, bretelles remplacent les fers.
Voyez cette jeune femme camisolée et liée sur son matelas depuis cinq jours. Camisole et liens ne l’ont pas calmée. Elle grince des dents, mais c’est moins de folie que de rage. On comprend qu’elle dévorerait joyeusement ses bourreaux. Ses bourreaux, eux, pendant ce temps, jouent aux cartes.
Quelques pistes de lecture …
1 – Quels sont les différents traitements infligés aux fous ?
2 – Ces traitements ont-ils vocation à les guérir ? Sinon, à quoi servent-ils ?
A cette époque, comme au 19e siècle, on ne sait pas guérir la folie. À défaut de pouvoir guérir les fous, l’on se contente donc de les enfermer, ce qui révolte Albert Londres. Certains médecins étudient pourtant les cerveaux des malades, dans l’espoir de découvrir le secret de leur folie …
L’ARMOIRE AUX CERVEAUX (Enquête d’albert Londres)
Un après-midi, le docteur Dide me dit :
— Venez voir mon laboratoire.
Les travaux de ce savant sont célèbres par le monde.
Au moyen d’une machine perfectionnée, il coupe les cerveaux en tranches minces comme l’on fait du jambon de Parme dans les boutiques italiennes d’alimentation. Il examine ensuite la chose au microscope. De là sortira peut-être la clé de la maladie mystérieuse. Du moins espérons-le.
Je me promenais donc, respectueusement, dans ce temple de l’avenir, quand, soudain, je tombai en arrêt devant un réduit imprévu.
Cent vingt pots de chambre, chacun dans un joli petit casier, ornaient seuls les murs de ce lieu. Aux anses pendaient des étiquettes portant noms d’hommes et de femmes et, en dessous : D. P. (démence précoce). Délire progressif. Confusion mentale, psychoses symptomatiques, lésions circonscrites ; P. G. marche rapide. Épilepsie. Idiotie.
Ces pots de chambre aussi correctement présentés avaient dans leur air quelque chose de fascinateur.
— C’est mon armoire à cerveaux, fit Dide.
Il tira un pot par l’anse : un cerveau nageait dans un liquide serein. Regardant l’étiquette, le savant me dit :
— C’est Mme Boivin.
— Enchanté !
Je demeurais en extase devant l’armoire.
— Parfait ! fis-je, vous avez là de beaux cerveaux, mais pourquoi dans des pots de chambre ?
Le maître me regarda bien en face et me répondit :
— Parce que le pot de chambre, Monsieur, est la forme idéale du cerveau !
