Séance 5 – culture littéraire – refuser la guerre – voyage au bout de la nuit de louis-ferdinand céline

Objectif : Découvrir une grande œuvre de la littérature française sur le thème de la première guerre mondiale

Qui est louis-ferdinand céline ?

Louis-Ferdinand Céline est un écrivain français, né en 1894 et mort en 1961. Il est considéré comme l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle. Il a notamment écrit Voyage au bout de la nuit (1932), où il raconte son expérience de la première guerre mondiale à travers un personnage qui se nomme Bardamu.

PREMIER EXTRAIT DE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Bardamu se trouve sur le front, avec un colonel de l’armée française. Il se demande quand le colonel recevra l’ordre d’arrêter la guerre ….


Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général qu’il déchirait ensuite menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune d’elles, il n’y avait donc l’ordre d’arrêter net cette abomination ? On ne lui disait donc pas d’en haut qu’il y avait méprise ? Abominable erreur ? Qu’on s’était trompé ? Que c’était des manœuvres pour rire qu’on avait voulu faire, et pas des assassinats !

Mais non ! « Continuez, colonel, vous êtes dans la bonne voie ! » Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des Entrayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une enveloppe chaque cinq minutes, par un agent de la liaison, que la peur rendait chaque fois un peu plus vert et foireux. J’en aurais fait mon frère peureux de ce garçon-là ! Mais on n’avait pas le temps de fraterniser non plus.

Donc pas d’erreur ? Ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n’était pas défendu ! Cela faisait partie des choses qu’on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C’était même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux, comme le tirage au sort, les fiançailles, la chasse à courre !… Rien à dire. Je venais de découvrir d’un coup la guerre tout entière. J’étais dépucelé. Faut être à peu près seul devant elle comme je l’étais à ce moment-là pour bien la voir la vache, en face et de profil. On venait d’allumer la guerre entre nous et ceux d’en face, et à présent ça brûlait ! On y passerait tous, le colonel comme les autres.

Il y a bien des façons d’être condamné à mort ! combien n’aurais-je pas donné à ce moment-là pour être en prison au lieu d’être ici, moi crétin! Pour avoir, par exemple, quand c’était si facile, prévoyant, volé quelque chose, quelque part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien! De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c’est des mots.

Si seulement j’avais encore eu le temps, mais je ne l’avais plus ! Il n’y avait plus rien à voler ! Comme il ferait bon dans une petite prison pépère, que je me disais, où les balles ne passent pas ! Ne passent jamais !

J’en connaissais une toute prête, au soleil, au chaud ! Dans un rêve, celle de Saint-Germain précisément, si proche de la forêt, je la connaissais bien, je passais souvent par là, autrefois. Comme on change ! J’étais un enfant alors, elle me faisait peur la prison. C’est que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu’ils disent, à ce qu’ils pensent. C’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours.

Combien de temps faudrait-il qu’il dure leur délire, pour qu’ils s’arrêtent épuisés, enfin, ces monstres ? Combien de temps un accès comme celui-ci peut-il bien durer ? Des mois ? Des années ? Combien ? Peut-être jusqu’à la mort de tout le monde, de tous les fous ? Jusqu’au dernier ?

Quelques pistes de lecture …

1 – Lisez le troisième paragraphe et le dernier paragraphe. Quelle est l’opinion de Bardamu sur la guerre ? Citez le texte.
2 – Lisez les paragraphes 4, 5 et 6. Pourquoi Bardamu dit-il qu’il préfèrerait être en prison plutôt que sur le front ? Comprenez-vous pourquoi la prison, qui lui faisait si peur quand il était enfant, ne lui fait plus peur ?

DEuxième EXTRAIT DE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Bardamu est sur le front avec le colonel quand un messager arrive.

Soudain, arriva vers nous au pas de gymnastique, un cavalier à pied (comme on disait alors) avec son casque renversé à la main, et puis tremblant et bien souillé de boue, le visage verdâtre.

« Qu’est-ce que c’est ? » l’arrêta net le colonel, brutal, dérangé, en jetant dessus ce revenant une espèce de regard en acier.

Sous ce regard, le messager vacillant se remit au « garde-à-vous, et ses mâchoires tremblaient si fort qu’il en poussait des petits cris avortés, tel un petit chien qui rêve. On ne pouvait démêler s’il voulait nous parler ou bien s’il pleurait.

Nos Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer d’instrument. C’est à la mitrailleuse qu’ils poursuivaient à présent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros paquets d’allumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des guêpes.

L’homme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose d’articulé.

« Le maréchal des logis Barousse vient d’être tué, mon colonel, qu’il dit tout d’un trait.

– Et alors ?

– Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Étrapes, mon colonel !

– Et alors ?
– Il a été éclaté par un obus !
– Et alors, nom de Dieu !
– Et voilà ! Mon colonel…
– C’est tout ?
– Oui, c’est tout, mon colonel.
– Et le pain ? » demanda le colonel.

Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien qu’il a eu le temps de dire tout juste : « Et le pain ? » Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits comme on ne croirait jamais qu’il en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que c’était fini ; que j’étais devenu du feu et du bruit moi-même.

Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu’un vous les secouait de par-derrière. Ils avaient l’air de me quitter et puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps, l’odeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entière.


Quant au colonel, il était mort. Je ne le vis plus, tout d’abord. C’est qu’il avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par l’explosion et projeté jusque dans les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils s’embrassaient tous les deux pour le moment et pour toujours. Mais le cavalier n’avait plus sa tête, rien qu’une ouverture au-dessus du cou, avec du sang dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert, il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là au moment où c’était arrivé. Tant pis pour lui ! S’il était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas arrivé.

Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble.

Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène.

QuElques pistes de lecture …

1 – Que pensez-vous de l’attitude du colonel ? Et de celle du messager ?
2 – Par quoi la conversation du colonel et du messager est-elle interrompue ?
3 – Qu’est-il arrivé au colonel et au messager ? Citez le texte.
4 – Que pensez-vous de la phrase “Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble” ? Est-ce de l’humour noir ?

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